1. Hypothèses
Considérons une économie où chacun doit disposer d’une unité de consommation pour vivre et faire son travail. Il y a 101 personnes :
– 50 fermiers qui produisent chaque année 101 unités de consommation ;
– 50 mineurs qui extraient chaque année de l’engrais et qui le vendent pour 50 unités de consommation aux fermiers ;
– Un savant capable d’inventer de fabuleuses machines et de raconter de superbes histoires.
2. Conditions initiales
La vie s’écoule paisible, chaque année :
– Les fermiers produisent 101 unités de consommation ;
– Ils achètent pour 50 unités d’engrais, paient le savant 1 unité pour ses belles histoires ;
– Ils conservent donc 50 unités de consommation, qu’ils consomment.
– Les mineurs minent de l’engrais et le vendent aux fermiers pour 50 unités de consommation ;
– Ils consomment 50 unités suite à cette vente.
– Le savant reçoit des fermiers une unité de consommation pour ses histoires et la consomme.
3. Progrès technique
Le savant découvre une technique fabuleuse qui permet, à coût nul, d’extraire l’engrais par une utilisation intelligente du big data, du matérialisme dialectique et de la physique quantique. La vie change du tout au tout, mais pas de la même manière pour tout le monde :
– Les fermiers produisent 101 unités de consommation ;
– Ils achètent pour 50 unités d’engrais au savant, continuent de lui payer 1 pour ses histoires ;
– Ils conservent donc 50 unités de consommation qu’ils consomment, pour eux rien ne change.
– Le savant reçoit 51 unités de consommation, 50 pour l’engrais et une pour les histoires, en consomme une et devient donc immensément riche. Restent 50 unités qu’il prête aux mineurs.
– Les mineurs ne minent plus d’engrais car ils n’ont plus de marché et ils doivent emprunter au savant.
4. Que s’est-il passé ?
– Le fermier est assuré de sa subsistance, il est détenteur d’une ressource rare et impossible à répliquer. Il conserve sa rente économique.
– Le savant a engendré un gain de productivité de 50 dont il a conservé la totalité puisqu’aucun mécanisme de redistribution n’est venu le lui prendre. C’est le grand gagnant du progrès technique.
– Les mineurs ont tout perdu et doivent trouver une autre occupation sous peine de continuer à s’endetter.
Bien sûr la manière la plus simple de résoudre la difficulté consiste à imposer le savant à hauteur de 50 et redistribuer les 50 aux mineurs. Pour plusieurs raisons, cette option n’est pas envisageable en pratique :
– Il est nécessaire de laisser une incitation au savant pour qu’il invente, il conservera donc une part importante des gains de productivité ;
– Le savant n’est pas toujours dans le même environnement fiscal que le mineur et la redistribution du savant au mineur ne peut être organisée ;
– Les fermiers ne pouvant facilement se projeter dans la situation des mineurs, et donc penser qu’eux aussi pourraient être sujets aux mêmes aléas, ils ne voteront pas pour une redistribution qui conduit une partie de la population à « gagner sa vie sans rien faire ».
5. Parallèles
Il est facile de tirer des parallèles avec la situation actuelle :
– Les fermiers regroupent tout ceux qui détiennent des biens générateurs de rente de situation, allant de l’immobilier au réseau de contacts. Ceux là ne perdent pas au progrès technique et peuvent même imaginer de partager les gains de productivité avec le savant. Leur fortune croît au moins aussi vite que l’économie ;
– Les mineurs sont les professions déplacées par le progrès technique. La théorie veut que la richesse créée par le progrès soit suffisante via la redistribution à assurer un niveau de vie – après mise en œuvre de ce progrès – au moins égal au niveau de vie antérieur. Ce n’est pas ce qui se passe du fait d’un progrès technique inégalement réparti à la surface du globe et de la nécessité d’inciter le savant. Leur fortune croît au mieux comme la taille de l’économie. Ils diminuent leur consommation unitaire ou s’endettent pour la maintenir ;
– Le savant représente l’économie de la connaissance dans son ensemble et dont la part dans la valeur ajoutée croît avec l’impact du progrès engendré. La fortune de cette classe augmente plus vite que celle de l’économie dans son ensemble. Elle devient prêteuse nette du fait de son épargne.
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