La finance moderne est fondée sur l’idée qu’il n’existe pas d’opportunités d’arbitrage. Cela signifie que lorsque vous achetez une action, il y a exactement une chance sur deux pour que sa valeur augmente ou qu’elle baisse. Si ce n’était pas le cas, d’autres auraient fait le pari et les prix se seraient ajustés de façon à ce que vous ne puissiez rien gagner de façon probable.
De ce point de vue, les marchés financiers sont toujours en crise, cela signifie que ce qu’on observe est inutile à connaître l’avenir – en fait la chose est même plus profonde, par exemple, la moyenne des prix passés n’est pas une indication robuste de la moyenne à venir. En d’autres termes, vous prenez toujours vos décisions dans un état d’incertitude maximale, et le mot de maximal est le mot important ici.
Bien entendu si c’est votre métier d’investir, avant d’en arriver là, il vous aura fallu mettre en place une infrastructure qui fait sortir de cette équation tous les facteurs maîtrisables, comme celui de la répartition globale des risques : on peut – on doit – se diversifier afin de prendre seulement les risques pour lesquels on sera rémunéré.
Le mode de pensée de la finance des marchés parfaits est au mieux considéré par le public comme une perversion de l’esprit qui n’a aucune place légitime dans les affaires de la cité. Et pourtant, il contient une leçon d’humilité, qui peut être utile.
La voici : toute décision importante devrait être prise dans un état d’incertitude maximale. J’ai choisi cette formulation paradoxale à dessein. Si ce n’était pas le cas, cela voudrait dire qu’il y avait une information disponible qui aurait dû conduire à un ajustement des branches de l’alternative de façon à ce que le choix s’effectue de façon absolument incertaine.
Le leadership intervient alors en deux endroits distincts – et la confusion de ces deux endroits rend bien des discussions impossibles, par exemple celles portant sur la gestion de la crise sanitaire actuelle. Tout d’abord la règle de leadership est de sortir au plus vite du probable afin de se retrouver devant le choix le plus incertain. Ensuite, le leadership doit prendre la décision en assumant l’incertitude de son choix.
Le fait est que dans notre vie professionnelle, nous sommes généralement conduits à ne prendre que des décisions éminemment probables, de celles qui découlent d’une accumulation de faits, et c’est tant mieux puisque cela veut dire que les décisions faciles sont courantes et les décisions difficiles rares.
Mais dans les temps de crise, lorsque nous n’avons pas fait ce travail, par paresse ou par ignorance, la donne change et nous sommes à presque tout moment dans une situation d’incertitude maximale, où toutes les décisions deviennent difficiles. Pour autant, la démarche ne change pas, elle s’accélère, mais vaut toujours par le fait de sortir le plus vite du certain pour être dans la position la plus inconfortable avant de décider.