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Je sais qu’il y a dans les partages une inquiétude commune. Car n’allez pas prétendre que chacun n’a pas, absolument, viscéralement, conscience de ce qu’il doit à la chance aveugle quant à sa réussite. Je prends pour preuve cette angoisse philanthropique de donner comme on se débarrasse d’un fardeau, elle qui s’explique à parts égales par un inconfort coupable. Et j’en veux autant pour témoin cette aspiration millénariste qui souhaite l’éternité pour éliminer la chance par la multiplication des expériences vécues.
Les sous-titres disent : nous ne voulons pas l’inégalité. Ils disent nous sommes prêts à faire le premier pas, nous sommes prêts à partager le plus et le comment. Mais voilà dans le monde tel qu’il est, faire le premier pas est un risque. En vérité, faire le premier pas du partage a toujours été le péril car sera-t-on celui dont on abuse la gentillesse, sera-t-il celui qui perdra à l’échange, et qui s’occupera de nous après le don ?
Les manipulateurs connaissent notre inquiétude et connaissent notre bonne volonté, ils connaissent notre égoïste retenue. Ils attendent et préfèrent que s’accumulent à leur profit les premiers pas jamais pris, en une seule et unique masse, coupable et colérique.
Ce qu’ils en feront ensuite, c’est une émeute et nous ne pouvons pas espérer d’être à chaque fois sauvés par l’émeute. Il doit y avoir une autre manière de résoudre les cumuls. Car ne nous trompons pas sur la nature des révolutions espérées en nos vieilles démocraties, elles ne seront rien d’autre qu’une avalanche de premiers pas qu’un plus malin aura caporalisés.
Crédit image : Shoji Ueda, Dunes, Portrait of Mr. Sohji Yamakawa, 1984