Depuis trente ans maintenant et s’accélérant avec la crise, nous voyons s’ériger des murs entre les catégories qui composent le tissu national. Peu à peu ces murs ont pris possession de nos raisonnements et nous ont rendus négligents à l’endroit d’autrui, au point d’estimer n’avoir plus besoin de lui.
Ainsi croyons nous n’avoir plus besoin de l’étranger car « ils sont trop nombreux », plus besoin des chômeurs car « ils sont trop fainéants », plus besoin des jeunes car « trop inexpérimentés », plus besoin des vieux car ils sont trop vieux, plus besoin des artistes car ils ne produisent rien, plus besoin des riches car trop avides.
On aurait pu croire un instant en la réconciliation nationale lors du dernier scrutin mais les lignes ne firent que se déplacer de classe et on changea l’identité des boucs émissaires. Il y a une grande imposture à faire croire à un peuple que les pauvres sont coupables, c’est une imposture identique que de laisser penser chose identique à l’endroit des nantis.
Ces lignes n’ont pas d’autre objectif que de rappeler l’évidence : nous aurons besoin de tout le monde. Derrière les mots, il s’agit en pratique de changer les mentalités : pour le chef d’entreprise qui reçoit le CV d’un jeune de banlieue, de le lire comme la marque précieuse de l’intérêt du corps social pour son activité. Pour le DRH sollicité par un sénior vingt ans plus âgé, de considérer cette candidature venant d’une histoire commune riche et féconde. Pour le syndicaliste qui proteste devant la dureté du monde, d’apprécier l’effort de l’entrepreneur, du patron, de l’actionnaire engagé lui aussi dans le combat usant de ses propres armes. Pour chacun de voir en son voisin puissant ou misérable, un frère dans le destin de la France.
La vérité nue c’est que nous sommes arrivés à un point de l’histoire où personne n’obtiendra exactement ce qu’il souhaite, même si nous pouvons collectivement obtenir ce qu’il nous faut en tant que nation. Nous savons ce que cette proposition a d’utopique, cependant elle est claire, demandons à chacun en France de dire à haute voix et de penser à voix basse : « Nous aurons besoin de tout le monde ».