375 000 personnes aiment la page Facebook de Dieudonné. Les raisons sont étrangement similaires pour ceux qui s’y épanchent. Disons qu’il rassemble des gens qui expriment un vague, mais viril, « rejet du système ». Ils le font de manière à peine articulée, un peu comme des enfants qui n’arriveraient pas à être propres. Cette communauté possède par ailleurs la particularité toute singulière à l’internet de partager une conception téméraire de la syntaxe et qui pique souvent les yeux.
L’argument principal du Dieudonniste reste celui de l’existence d’un complot généralisé visant à perdre un humoriste génial qui serait entré en résistance contre un ensemble de forces occultes sionistes, c’est à dire juives (il y a des tirets entre tous les mots précédents car une telle vision ne peut être qu’holistique et ne se prête surtout pas à l’analyse).
Le vocabulaire adopté est celui d’Egalité et Réconciliation, le blog d’Alain Soral, qui fournit de manière complémentaire un ensemble d’expressions toutes faites, en bois, d’apparence logique, et en tout cas grammaticalement correctes, à usage de la secte. Soral combat « l’empire » comme Luke Skywalker combat Dark Vador, ou un truc de ce genre. Si vous avez le temps, il vous faut écouter les tirades sans fin que poste Soral sur internet pour saisir toute la polysémie du concept. Moi je n’ai pas eu le courage d’en subir plus de deux, mais j’estime cela suffisant pour apprécier la profondeur du marigot, la plus petite pierre viendrait troubler cette surface de mensonges ineptes.
Il est assez touchant d’ailleurs de voir cette communauté de vainqueurs incapables de parler de manière cohérente dans aucune langue connue venir s’abreuver aux mamelles de l’éloquence chez Dieudonné et de l’apparence de la logique chez Soral. On sent bien qu’ils aimeraient être respectés pour leur cerveau ces Dieudonnistes, j’ai peur qu’ils ne doivent en abandonner l’idée et miser sur un organe plus prosaïque pour s’en sortir.
Car c’est bien d’une secte dont il s’agit comme l’a montré la réaction médulo-spinale de la fine équipe contre Myriam Leroy qui a récemment, et fort civilement, proposé à Dieudonné sur Canal+ de ranger ses avis à un endroit où il est sûr de les retrouver, non sans les avoir roulés en boule au préalable dans la plus petite pièce de son appartement. A ces mots, les 375 000 enfants d’Hamelin furent perdus, leur joueur de flute – dont ils attendaient l’intervention divine pour retrouver l’esprit – restant désespérément muet. La seule chose qu’ils purent répéter dans les 2350 commentaires qui suivaient la publication du billet de Myriam Leroy sur la propre page de Dieudonné, c’était « quenelle », « fais du porno » et « pute », ce qui est peu (même « pute », c’est peu).
Et pourtant je suis optimiste quant à l’avenir sombre du rebelle antisémite.
Tout d’abord, mais c’est à surveiller, il est seul à bêler dans sa catégorie. Certes on l’invite chez Taddei, mais il n’y a pas de grande école de « l’humour » antisémite en France. Cette chèvre broute en solitaire dans son enclos et, comme le révèlent les coups de sabots, récemment publiés in extenso, de son indigente femme contre Soral, Dieudonné tient à ce que son business reste un monopole.
Ensuite, il est évident que Dieudonné a choisi de défendre une thèse éculée (les-juifs-contrôlent-le-monde) au prix de son art. Il est ainsi entré dans la catégorie claire obscure du monstre de foire qu’on exhibe pour choquer le manant. Il y a une demande pour cela, certes, mais elle est limitée. D’ailleurs, en ces temps de moraline montante, presque tout peut choquer : la concurrence est rude pour le Ché de la place Pigalle.
Enfin, je pense que la répétition ad nauseam de la chanson de gestes du Dieudonniste, comme « la quenelle » ou « shoah-nanas », lui enlève graduellement son caractère subversif. Elle finira par lasser même les plus hémiplégiques. Après tout, PSY aura eu 1,8 milliards de vues mais on n’ose plus trop le Gangam style dans les kermesses aujourd’hui. Parce qu’un révolté n’aime pas trop ressembler à tout le monde, surtout quand il est idiot et qu’il tend le bras dans le vide.
